27 novembre 2011

Famille modèle d'Eric PUCHNER

Une famille modèle, la famille Ziller ? Au départ oui, … Mais suite à un déménagement hasardeux pour assouvir le rêve californien du père, Warren, la famille va se disloquer, fragments par fragments. Son projet de résidence sécurisée à bas prix en plein désert s’écroule, suite à l’aménagement à proximité d’une usine de retraitement des déchets plutôt inquiétante du point de vue de l’environnement… La famille est ruinée, les coups durs se succèdent. Tous les membres de la famille ne connaîtront pas le même sort, Lyle, adolescente complexée et rebelle tirera bien mieux son épingle du jeu que son frère aîné, Dustin, qui paiera le plus lourd tribut. Quel adulte deviendra Jonas le plus jeune des enfants, un peu à part de la famille ? Et les parents, littéralement pétrifiés de culpabilité, quel est leur avenir ?

La rentrée littéraire américaine nous a gratifiés de bons romans sur la décomposition de la famille avec David Vann ("Désolation", critique à suivre prochainement) sur un mode particulièrement plombant et Jonathan Franzen ("Freedom"), salué par la critique mais traînant un peu en longueur. Eric Puchner n’a pas à rougir de la comparaison avec ces deux écrivains reconnus, son style incisif et sans détours, la très grande lisibilité et la simplicité de son récit,  sur un thème aussi rebattu, en font assurément un auteur à suivre. On se souvient de "Tempête de glace" de Rick Moody, particulièrement réussi sur le même sujet, Eric Puchner se hisse sans problèmes à sa hauteur.
IsaH

Dôme de Stephen KING

Que se passerait-il si une petite ville se trouvait brutalement coupée du monde par un dôme d’une matière non identifiée mais indestructible ?  S.King tricote longuement mais efficacement toutes les interactions sociales, psychologiques, politiques d’une telle situation, qui l’intéressent plus que la résolution de l’énigme (qui a créé le dôme ?), un peu décevante d’ailleurs.  Des méchants bien méchants, une foule de personnages typés, des péripéties soigneusement orchestrées, une pointe d’humour et de politiquement incorrect, ces deux pavés se lisent d’une traite ! A quand le film ?
IsaH

Juliet, naked de Nick HORNBY

Duncan est un quadra passionné de rock, fan absolu de Tucker Crowe, chanteur génial devenu culte après avoir brusquement arrêté sa carrière au milieu des années 80. Annie, qui partage la vie de Duncan, oscille entre résignation devant cette passion exclusive et amertume de ne pas avoir d'enfant. Un jour, par le plus grand des hasards (enfin pas tout à fait), elle réalise le rêve de Duncan : entrer en contact avec Tucker Crowe...On retrouve tout Hornby dans ce roman : les références rock (réelles ou fictives), les interrogations existentielles de personnages en décalage par rapport à la société, les dialogues qui font mouche. Un peu en-deçà toutefois de "Haute fidélité" ou "Pour un garçon".
IsaH

23 novembre 2011

Une anglaise à bicyclette de Didier DECOIN

Du romanesque à l’état pur, et de haute volée… Jayson, photographe anglais missionné pour un reportage sur Wounded Knee, recueille une jeune indienne de 3 ans rescapée du massacre. De retour en Angleterre, tout le village s’interroge sur l’enfant que Jayson fait passer pour une orpheline irlandaise. Jayson lèvera les doutes sur l’enfant devenue femme de la plus surprenante des façons… Didier Decoin excelle à mêler réel et imaginaire, en créant un personnage de femme comme on en lit peu. Sans oublier des pages d’ouverture saisissantes sur le massacre des indiens lakotas, du grand art.
IsaH

20 novembre 2011

Polisse de MAIWENN

Les films dont on parle beaucoup, souvent je ne vais pas les voir tout de suite au cinéma, et si je décide d'y aller, ils sont rarement mieux que je ne pensais. Polisse échappe à cette règle. Je ne pensais pas qu'il me plairait autant.
Je ne suis pas fan de Joey Starr, mais l'honnêteté m'oblige à confirmer qu'il est vraiment très bien dans ce film. Le talent des autres est éclatant, bien que moins surprenant, Marina Fois, Karine Viard... L'histoire d'amour est bien un peu mièvre et clichetonneuse, mais franchement ce n'est pas grave, tant la succession des cas de maltraitance d'enfants fait sens. Certains critiques ont trouvé qu'elle ne servait qu'à parler des états d'âme des flics, je n'ai pas trouvé. Pour moi, aucune complaisance dans les scènes parfois insoutenables, parfois drôles où les enfants sont présents. Ils ne sont pas les faire-valoir des héros, chacun a sa séquence, existe vraiment, comme cette adolescente qui accouche d'un enfant qu'elle va abandonner, ou, scène très commentée, ce petit garçon que sa maman vient de confier à la police et qui pleure dans les bras de Joey Starr. Les scènes sont souvent anormalement longues, elles ne sont pas formatées et c'est, je pense, ce qui crée l'effet de réalité de ce film.
Maïwenn est tête à claques, mais son film imparfait est un des plus intéressants qu'il m'ait été donné de voir ces derniers mois.
IsaH

Héritage de Nicholas SHAKESPEARE


Hériter d'un parfait inconnu une somme d'argent telle qu'elle change le cours de votre vie, cela semble impossible. C'est pourtant ce qui arrive à Andy. Arrivé en retard à l'enterrement de l'un de ses anciens professeurs, il se rend vite compte qu'il s'est trompé de cérémonie mais n'ose repartir. Il faut dire que l'église est vide ou presque, seules deux personnes sont présentes, un homme et une femme. Il va jusqu'à signer le registre de condoléances, à la demande de l'homme présent à la cérémonie.
Celui-ci s'avère être le notaire chargé de la succession du défunt, un certain Madigan. Dans son testament, Madigan a prévu que ses seuls héritiers seront les personnes présentes à son enterrement, quelles qu'elles soient ! Andy comprend bien vite que la somme est rondelette (17 millions de livres), il la partagera avec la femme présente à l'enterrement, la gouvernante de Madigan. Oui mais voilà que la fille de Madigan, arrivée JUSTE APRES la cérémonie, réclame sa part d'héritage. Trop tard pour elle, le notaire est formel, pas d'enterrement, pas d'héritage !! Andy est en proie aux scrupules, a-t-il le droit d'hériter de cet argent ?
De ce point de départ burlesque, N.Shakespeare va tricoter un roman astucieux et plus profond qu'il n'y paraît.

Clèves de Marie DARRIEUSSECQ

Clèves, c'est la petite ville où habite Solange, dans les années 80. En trois parties, on la suit du CM2 à la 3ème, de l'enfance à l'adolescence. Comme ses parents travaillent beaucoup, elle reste souvent chez le voisin, Bihotz, un trentenaire fou de hard rock. … Dès le CM2 Solange est obsédée par le sexe, ou plus exactement par la perte de sa virginité, comme tous ses camarades et le roman est le récit sans détours de son initiation amoureuse et sexuelle.
Le récit, vu du point de vue de l'adolescente, use d'un langage cru, certaines (beaucoup ?) scènes sont du registre pornographique. Ce sera peut-être rédhibitoire pour certains lecteurs. Alors Clèves est-il choquant ? Marie Darrieussecq a-t-elle voulu provoquer à tout prix, comme certains critiques se plaisent à le dire ? On repense à Truismes, son premier roman qui avait fait scandale avec une histoire de femme se transformant en truie.
Ce qui est sûr, c'est que si l'on n'est pas arrêté par cela, on lit le roman d'une traite, happés par une forme de petits paragraphes qui paradoxalement font tout sauf hacher la lecture. Les scènes de sexe ne m'ont pas paru complaisantes ni gratuites, elles sont quelque part incontournables puisque tout se passe du point de vue de Solange, au plus près de ce qu'elle a dans la tête, comme un journal intime. Et lorsqu'on referme le livre, ce qui reste c'est avant tout un portrait d'adolescente. Est-ce pour autant un portrait de l'Adolescence ?
Marie Darrieussecq, avec son titre Clèves, s'est mise sous le patronage du chef d'œuvre de Madame de la Fayette (la princesse de Clèves), elle l'affirme dans ses interviews. D'aucuns pensent qu'elle ne fait que donner artificiellement du lustre littéraire à son roman. Mais on peut aussi penser qu'elle convoque la permanence, à travers les siècles, de la jeunesse dans sa recherche d'absolu. Quête d'absolu qui certes prend ici des formes diamétralement opposées, de l'abstinence de l'héroïne du XVIIè siècle (la princesse de clèves) à la frénésie sexuelle de celle du XXè (Solange).

19 novembre 2011

La blessure de François BEGAUDEAU



François Begaudeau nous livre ici un récit (apparemment) autobiographique, écrit à la première personne. Nous sommes en 1986, le narrateur part en vacances avec ses parents, en Vendée comme tous les ans depuis qu’il est enfant. Mais cette année, à 15 ans, il est bien déterminé à franchir LE pas et à perdre son pucelage. Il retrouve là-bas toute sa bande de copains, ils ont tous un an de plus et à cet âge là, un an, ça compte énormément. Il y a Joe, le tombeur, Paul le simplet, Greg qui met un point d’honneur à se prendre des râteaux comme ils disent auprès des filles.François le narrateur attend donc avec impatience Emilie, son amour de l’été passé, mais d’autres filles lui tournent la tête, et surtout la belle Julie, comme tombée du ciel dans son auto-tamponneuse…
Un énième livre sur l’adolescence ? Un livre de plus sur les années 80 ? Sans doute mais c’est sans compter avec le talent de François Begaudeau. Son écriture rapide, nerveuse, épouse l’impatience de ses jeunes personnages. Et sous l’anecdote et le chromo de l’ été 86 transparaît toute la profondeur et les interrogations du narrateur, le jeune François lui-même. Ses convictions politiques sont déjà bien ancrées (il est communiste), son goût pour les langues et la littérature commence à être décalé par rapport à ses copains livreurs de journaux ou déscolarisés. C’est encore un âge où tout ça n’a pas d’importance, parce que ce que François veut à tout prix c’est être dans le sillage de Joe, l’homme fort du groupe, celui qui couche avec des filles, travaille et a toujours l’attitude qu’il faut. François lui se pose plein de questions et ça ne le sert pas avec les filles, du moins en est-il persuadé. Il dit de lui-même : « j’ai commencé les pensées de Pascal, je suis communiste et je rougis quand une fille dit jouir » ce qui le résume assez bien.

La Vie très privée de Mr Sim de Jonathan COE



Maxwell Sim est un homme ordinaire, un homme sans qualités, sans talent particulier. Sa femme Caroline l’a quitté, il est donc éloigné de sa fille, et est en congés maladie pour dépression. Il part en Australie pour voir son père et là-bas voit, dans un restaurant où il dîne, le tableau de l'harmonie familiale qu’il cherche en vain depuis des années, la complicité affichée et éclatante d’une mère et sa fille à la table voisine.
Revenu en Angleterre, un ami lui propose un emploi singulier, qu’il accepte du fond de son marasme : intégrer une action marketing pour une marque de brosses à dents en partant à bord d'une prius aux confins du Royaume Uni prouver que les brosses à dents … vont « jusqu'au bout ».
Pour seule compagnie, Max dispose de l'imperturbable voix féminine de son GPS, qu'il baptise Emma, et dont il tombe vaguement amoureux. Jalonnant sa route, des rencontres et des flash-back minutieusement orchestrés retracent son existence et ses multiples ratages familiaux, amicaux, sentimentaux. La construction est complexe, comme souvent chez J.Coe, qui intercale au récit 4 textes « extérieurs », écrits par des protagonistes et qui vont être chacun des révélateurs pour Maxwell, soit de la perception que son entourage a de lui, soit de faits qui lui étaient inconnus (l’homosexualité de son père par exemple). La fin est étonnante... et peut laisser perplexe.
IsaH

Les Assoiffées de Bernard QUIRINY

Imaginez que le Benelux soit devenu un empire ultra-féministe, une société matriarcale extrême, coupée du monde, suite à un coup d’état en 1970… C’est dans cet univers parallèle au nôtre, ce qu’on appelle une uchronie, que le premier roman de Bernard Quiriny nous plonge. Si le roman emprunte aux maîtres du genre, comme George Orwell, Ray Bradbury, ou Aldous Huxley, le ton, beaucoup plus léger, désopilant par moments, est tout autre. Le résultat, non moins terrifiant au final.
Une délégation de 6 intellectuels français est invitée en voyage officiel en Belgique, évènement unique depuis la Révolution de 1970 et l’avènement de la grande Bergère, Judith. La Grande Bergère règne sur ses sujets et est vénérée comme une divinité. Par exemple, les villes sont déplacées et les autoroutes sont redessinées pour figurer le profil de Judith vu du ciel… Les hommes ne sont plus très nombreux, et ne peuvent être que domestiques. Ils ne sont tolérés que s’ils ont procédé à leur reniement, comprenez leur castration. … Les femmes ont des enfants par procréation artificielle, et peu à peu les autorités peaufinent la technique pour éliminer les rejetons mâles…
L’opinion française, partagée comme le reste du monde sur l’empire féminin, attend les conclusions de ce voyage. Nul n’était entré dans l’empire pour un séjour provisoire et du coup l’empire est un objet de fantasme dans toute l’Europe et passe aux yeux de certains intellectuels comme une société parfaite (on pense à la Chine de Mao dans les années 60-70)…
Notre groupe d’écrivains et de journalistes a donc la pression. Le voyage de 15 jours, commence sous de piètres auspices :