26 avril 2006

"Le Cercle fermé" de Jonathan COE


Après l'Angleterre pré-thachérienne des années 70 ("Bienvenue au club"), Jonathan Coe s'attaque dans ce roman aux ambiguités du blairisme et semble renvoyer tout le monde dos à dos... C'est avec bonheur qu'on retrouve le petit groupe d'adolescents qu'on avait laissés à l'orée de leur vie d'adulte dans le premier opus : Benjamin l'idéaliste et son frère Paul, si différent, Claire et sa soeur Miriam, Doug, Philip et la solaire Cicely, point d'ancrage de toute l'histoire du groupe. A plus de 40 ans, que sont-ils devenus ? Benjamin travaille depuis toutes ces années à écrire ce fameux livre-concept dont il avait conçu l'idée dans "Bienvenue au club". Il est comptable, marié à Emily, et vit toujours dans le fantasme de Cicely, son grand amour de jeunesse, qui l'a quitté après une nuit d'amour inoubliable. Lorsque le roman débute, il vient de rencontrer la toute jeune Malvina, pour qui il ressent de troubles élans. Il lui fait connaître son frère Paul, devenu un député travailliste en vue, plutôt cynique : Malvina devient sa conseillère médiatique, mais tout se complique quand ils tombent amoureux l'un de l'autre. Claire est devenue une jeune femme pragmatique, bien que blessée par la vie. Elle non plus n'arrive pas à surmonter un traumatisme de jeunesse : la disparition de sa soeur Miriam, dont on est sans nouvelles depuis plus de vingt ans. Comme toujours J.Coe va tisser des liens entre tous ces destins, avec habileté (quoiqu'un peu moins qu'habituellement ?). Son roman vaut aussi pour la formidable description de l'Angleterre de Tony Blair à travers les soubresauts de l'histoire des 5 dernières années : la fermeture de Rover, la guerre en Irak. Un livre engagé, par un "déçu du blairisme" : les idéaux passent, au plan collectif, comme au plan individuel. C'est ce que semblent incarner tous ces personnages, qui se débattent entre leurs renoncements et leur attachement au passé. Les personnages de Benjamin et de Claire sont les plus aboutis, les plus attachants. Eux n'ont pas entièrement renoncé, et d'ailleurs Claire a toujours été amoureuse de Benjamin. Ils seraient sans doute heureux ensemble, mais Benjamin ne vit que dans le fantasme romantique et Claire n'aura pas la force de l'emmener dans le monde réel. Cette histoire possible, qui n'est qu'un des éléments du puzzle qui lie les personnages, est une des réussites du roman.
Jonathan Coe a prévu un résumé (inopportunément placé à la fin de l'ouvrage) de "Bienvenue au club" pour ceux qui ne l'ont pas lu (lecture que je ne saurais trop vous conseiller bien sûr. Lire les deux romans d'affilée est une chance que je n'aurai pas eue !).
Isa

09 avril 2006

"Lunar Park" de Bret Easton ELLIS


Une autofiction à l'américaine, c'est sensiblement différent, dans la forme, de Christine Angot et consorts, mais pas forcément beaucoup plus intéressant, dans le fond... Bret Easton Ellis, l'enfant terrible des lettres américaines, se met en scène dans une sorte de fausse biographie mâtinée de Stephen King ; la maison qu'il habite avec une star de cinéma et ses deux enfants, recèle d'étranges phénomènes : les peluches sont vivantes et agressives, la moquette et les murs changent de couleur... Et puis surtout deux personnages viennent hanter le quotidien du héros : son père, mort depuis quelques années, et Patrick Bateman, le serial killer chic de son roman évènement "American Psycho".
Ellis n'y va pas de main morte, comme on dit. Mais on se laisse malgré tout embarquer, car il n'a pas son pareil pour écrire les scènes "à faire" : réceptions mondaines et décadentes décrites par le menu, lutte du héros contre le démon de la drogue. On sent bien sûr que le petit Bret cherche aussi à régler la question du père (le sien) et de la paternité (la sienne), mais j'ai lu plus émouvant sur le sujet. Il est à mons sens plus convaincant dans l'évocation du cadre de l'histoire, à savoir les banlieues américaines ultra-chics : des couples de façade obsédés par la réussite, des enfants soi-disant hyperactifs, rendus amorphes et dépendants au xanax, mais soumis dès leur plus jeune âge à la compétition. La réunion des parents d'élèves de l'école privée de la ville est un des grands moments du roman, bien plus terrifiante que les quelques scènes de grand-guignol fantastique qu'Ellis nous inflige...
J'ai quand même le sentiment qu'il tourne un peu en rond, creusant sans fin ses obsessions. C'est extrêmement habile, avec suffisamment d'autodérision pour qu'on ne s'agace pas trop de cet enfant gâté et nombriliste et qu'on ne jette pas le pavé à la moitié. La critique a dit que c'était le roman le plus abouti d'Ellis. Peut-être, mais il ne surprend plus guère...

Isa