26 mars 2007

"Vers l'âge d'homme" de J.M.COETZEE


Ce récit, que la critique bien informée dit largement autobiographique, fait suite à "Scènes de la vie d'un jeune garçon" (que je n'ai pas lu, mais les assidus du blog pourront peut être compléter). Primé au nobel de littérature, Coetze est un auteur accessible et un homme discret. A nous de lire entre les lignes et de retrouver l'écrivain derrière le personnage.
John, un jeune homme quitte son pays, l'Afrique du Sud, qui bouillonne et se révolte. Il rejoint Londres. Il aurait préféré Paris ou Vienne, capitales incontestées de la culture et de la vie intellectuelle dans l'imaginaire suranné de ce jeune étudiant en mathématiques. Mais ce sera Big Ben et sa grisaille, faute de mieux. Le livre raconte la fuite et les errances d'un homme à l'aube de sa vie d'adulte, le renoncement à toutes les racines, les mornes errances d'un homme qui, à trop penser sa destinée, enterre ses jours. John est certain de son avenir : il veut être un artiste, il aspire à une vie de bohême, un amour passionné. Il est prêt à tous les sacrifices : après tout un esprit torturé et malheureux ne cache-t-il pas nécessairement un grand talent? Il rêve, lit les grands noms de la littérature, tente quelques poésies. Mais pour manger, il devient informaticien chez IBM et ne rencontre que des femmes fades et qu'il n'aime pas.
Dans ce cruel décalage, John nous met mal à l'aise. Mais à bien relire la quatrième de couverture, on est pris d'une doute : mais si John c'est Coetzee, alors ce jeune homme pâlot et sans talent va devenir Nobel ? Comment est ce possible ? Ce livre si triste ne serait-il pas le plus beau livre d'espoir qu'il nous soit donné de lire ?
Amélie

24 mars 2007

Maupassant et la télé


Vu quelques contes et nouvelles de Maupassant adaptés pour France 2. Encore un mardi et c'est fini. Dommage, on en verrait bien encore quelques uns, car c'est une belle réussite. Chaque soirée est composée d'une nouvelle "des champs" (50 minutes) et d'un conte "des villes" (30 minutes). J'avoue une nette préférence pour les premières, qui nous révèlent quelques comédiens étonnants. L'adaptation de "La Parure", par Claude Chabrol et avec Cécile de France, est assez décevante par rapport au "Père Amable" ou à "Une fille de ferme".
Les héroïnes de ces deux nouvelles, et leurs jeunes interprètes au minois inconnu, sont tellement émouvantes : engrossées à 16 ans, elles travaillent comme des hommes, subissent la honte et leur seul espoir est de "marier un fermier point trop violent et courageux". Elles ont la rage de celles qui veulent s'en sortir malgré tout, mais sont les esclaves de ce XIXème siècle rural, déjà rude pour les hommes, et qui broient ses enfants et ses femmes plus encore. Voir ces fraîches et belles jeunes filles devenir des femmes usées par l'acrimonie et le travail, endurcies par les deuils, n'ayant su préserver que la pureté de leur amour maternel, m'a vraiment serré le coeur.
Isabelle
Bravo aux comédiens du "Père Amable" qui ont attrapé avec une belle aisance l'accent cauchois. Toute normande que je suis, il m'aurait bien fallu des sous-titres les cinq premières minutes !!!

"L'Ogre" de Jacques CHESSEX



Jean Calmet, 40 ans, professeur de latin en lycée, assiste à l'incinération de son père, en Suisse. Tout de suite, le ton est donné, les personnages sont en place, la situation doit évoluer : la mort de l'un va-t-elle permettre la vie de l'autre ? Pourquoi en est-on là ? Que s'est-il passé ? Que se passe-t-il dans la tête -et dans le corps- de Jean Benjamin Calvet ?
Roman de paradoxes :
- années 70 / années intemporelles
- écriture (vocabulaire, syntaxe, construction) riche et précise / écriture simple, parfois simplifiée à l'extrême, sans fioriture, "scalpelisée" (cf "Le vampire de Ropraz)
- sentiments et situation décortiqués / sentiments et situation réduits à leur plus simple expression
- espoir pour Jean Calmet / désespoir pour Jean Benjamin Calmet
- abandonner ce fantoche à son sort / sympathiser avec ce fantôme qui tente de quitter l'ombre du père ?
- rejet/ identification
- indifférence / empathie, compassion
- oppression / libération ?
Peut-on gagner sa liberté ? Que reste-il après avoir été dévoré ? Bref, un prix Goncourt (1973) qui n'a pas vieilli, qui touche à tous les âges. Le cycle d'une vie "mal- menée". Chronique d'un destin ordinaire, chronique d'un destin particulier.
Entrez dans l'intimité de Jean Benjamin Calmet, homme qui ne cesse de répéter l'enfance, enfant qui ne cesse de chercher encore et toujours sa vie d'homme, une vie propre (dans tous les sens du terme) ...
Laurence V.

19 mars 2007

"La Femme de hasard" de Jonathan COE



Pour l'inconditionnelle de Jonathan Coe que je suis, la sortie (en poche) de son premier roman, jusqu'alors inédit en France, avait de quoi me réjouir. Je me suis jetée dessus... et suis restée un peu sur ma faim.
Le destin sinistre de Maria, depuis ses années d'université jusqu'à ses 30 ans bien sonnés, m'a laissée quelque peu froide. Sa personnalité, indifférente à tout, solitaire et parfois revêche, n'est pourtant pas sans intérêt. Elle est l'occasion de quelques pages bien senties sur l'optimisme béat de certains de nos congénères, et il faut reconnaître que la galerie de personnages que la pauvre Maria est obligée de se coltiner, est assez amusante, quoique déprimante : Ronny l'amoureux transi qui la demande en mariage tous les jours pendant une décennie, ses diverses colocataires toutes plus frappées les unes que les autres, le mari qu'elle finira par épouser "par hasard" et qui se révèlera... mais je n'en dis pas plus. Jusqu'à la douce Sarah, sa seule vraie amie, dont Maria dira combien le bonheur (réel) d'être avec elle, se double d'un ennui profond... Il n'y a que Stephen, dont le lecteur ne saura pas grand chose, qui aura su émouvoir notre héroïne, et son chat Stefton. Les amoureuses des chats, nombreuses à lire ce blog (!) se régaleront des quelques pages qui sont consacrées à ce confident à quatre pattes.
Beaucoup moins abouti que ses romans suivants, mais plein de cet humour vachard et de cette profondeur "l'air-de-rien"qu'on connaît à J.Coe, "La Femme de hasard" vaut d'être lu. Ma relative déception est due au fait que j'en attendais beaucoup. Accrochez vous en tout cas, la deuxième moitié est meilleure que la première.
Isa

10 mars 2007

"Le Vampire de Ropraz" de Jacques CHESSEX


Avec ce texte court et percutant, l'auteur suisse romand Jacques Chessex brouille les frontières entre réel et fiction. Il retrace un fait divers authentique, survenu au début du XXème siècle à Ropraz dans le canton de Vaud (village où il habite par ailleurs).
La jeune Rosa Gillieron, fille d’un notable local, meurt d’une méningite. Le lendemain de son enterrement, qui a rassemblé tout le canton, on retrouve sa tombe profanée. Pire encore, le corps même de la jeune fille a été violé et atrocement mutilé. Chessex détaille avec économie mais précision les sévices subis par la dépouille, pour mieux nous faire comprendre le traumatisme qui se répand dans les environs. D’autant que l’abomination se répète trois fois...
Dans ces campagnes reculées, les hantises et vieilles superstitions du Moyen Age sont toujours vivantes, et les moeurs sont salies mais cachées par ce que Chessex appelle la « crasse primitive ». La peur fait circuler les rumeurs, et la barbarie fait écho aux pulsions les plus obscures des habitants de ces villages. Tour à tour des suspects sont arrêtés et toujours relâchés. Le Vampire de Ropraz, ainsi que titrent les Gazettes, court toujours.

Jusqu’au jour où l’on arrête un garçon de ferme, qui semble être le coupable idéal... Dès lors on suit le destin de Favez, jusqu’au dénouement final, inouï et renversant.

C’est un texte à la langue coupante comme les instruments qui déchirent la peau des victimes. Chessex ne nous épargne aucun détail mais bien évidemment on n’est pas dans le registre du gore. Ce court texte a fait écho pour moi au long et ample texte de Philippe Claudel, "Les âmes grises". Les thèmes sont les mêmes : la barbarie infligée à l’innocence des jeunes filles, les pulsions refoulées dans une campagne "primitive".

Isa

"La fugue" et "Loin, chez personne" de Valérie SIGWARD

Valérie Sigward explore dans ces deux romans ses thèmes de prédilection : la frontière séparant le monde de l’enfance de celui des adultes, l’absence de ceux qu’on aime et la souffrance qu’elle suscite, le voyage, au dénouement toujours incertain.
Le voyage, dans "La fugue", est donc ...une fugue. Celle de Théo, un lycéen dont le frère s’est suicidé un an plus tôt. Théo cherche à fuir ses parents dévastés, pour qui il n’a plus l’impression d’exister. Il n’ira pas bien loin en termes de distance, mais avec d’autres jeunes de son entourage, dont celle qui fut la petite amie de son frère, et son inénarrable meilleur copain Zeb, il fera un grand trajet intérieur dans l’acceptation de la mort de son frère.
"Loin, chez personne", raconte également un voyage, puisque c’est un road movie, avec là encore un grand absent. Deux soeurs d’une trentaine d’années partent voir leur père, pour lui "demander des comptes". L’aînée, Julia, emmène dans ce périple ses deux enfants, Riri, 7 ans et Jeffrey, adolescent autiste. On comprend tout de suite que pour Julia et sa soeur (la narratrice, jamais nommée), ce père a été plutôt absent et qu’elle en ont toujours souffert. Un jour il est parti et il a cessé de s’intéresser à elles, d’un coup, comme ça. Même lorsque sa fille Julia a perdu son mari, le père de Riri et Jeffrey. Même lorsque l’autisme de son petit fils s’est déclaré, il ne s’est pas manifesté. ? Julia se cogne dans la vie. tout se passe mal pour elle. Mais elle vit, elle tente des choses. La narratrice, elle, est passive, elle avance armée de son sarcasme comme bouclier. Et on comprend qu’elle n’a rien fait de sa vie.
La route vers le père est semée de péripéties souvent cocasses. La tribu se chamaille. Entre la narratrice et le vif et insolent petit Riri, son neveu, il y a des étincelles. Julia dit à sa sœur, après une dispute entre les deux : « Un jour il faudra que tu me dises si tu détestes vraiment mes gosses, ou si tu fais semblant pour te donner un genre ». C’est un roman, comme "La Fugue", d’ailleurs, où on rit beaucoup.
Le règlement de comptes, les retrouvailles avec le père, vont prendre un tour pour le moins inattendu, rien ne se passe comme on aurait pu l’imaginer. C'est un peu gros, mais ça passe. Car le talent de Valérie Sigward fait le reste, et l’émotion finale submerge telle une lame de fond toute l’incongruité des circonstances de la rencontre entre le père et les deux soeurs.
L’écriture dans ces deux romans est pleine d’humour, avec l’apparente simplicité de l’oralité, qui cache en fait un gros travail sur la langue. Les dialogues sont particulièrement réussis, dans la Fugue, le copain Zeb est à mourir de rire. Et comme chez Joël Egloff, on n’a qu’une envie, et du coup qu’une frustration, en refermant le livre, c’est de connaître ces personnages pleins de vie, d’ironie et de douleur.
Isa