28 février 2006

"Jour de gloire" de Pascale Fonteneau

Les polars sociaux sont rares. Pascale Fonteneau mérite donc d'être applaudie pour son dernier roman, très réussi, qui installe son supense au sein d'une association de salariés licenciés suite à la délocalisation de leur usine. Il y a Sylvie, la narratrice, très désabusée, qui continue le combat, deux ans après le licenciement, plus par habitude que par conviction ; son amie Monique, la secrétaire, pasonaria de la lutte, surtout suite à son coup de foudre avec Richard, rencontré à un congrès sur l'avenir des industries textiles (sic), liaison qu'elle cache à tous sauf à Sylvie, et pour cause... ; Roger, l'ex-syndicaliste reconverti naturellement en président de l'association ; Evelyne la comptable un rien mystérieuse ces derniers temps. Et puis Magali, la fille de Monique, sélectionnée pour l'émission de télé-réalité "Une star est née"... Une occasion, une chance pour l'association de se faire entendre au niveau national, mais aussi tout simplement de "passer à la télé", ce qui émoustille tout le monde. Tous ces pions bien posés sur l'échiquier, P.Fonteneau amène savamment les meurtres là où on ne les attendait pas. Il ne faut pas en dire plus, on va de surprise en surprise jusqu'à un final explosif, qui nous laisse d'abord incrédules (l'auteur va trop loin) mais qui avec le recul clôt avec un soupçon d'irréalité mais aussi pas mal d'évidence ce désastre annoncé.
Le roman est très drôle, Pascale Fonteneau a un ton, plein d'ironie, qui pourrait rappeler certains Westlake, ceux mettant en scène John Dortmunder. Elle ne se prend pas au sérieux mais son polar se tient, et ses personnages ont le parfum de la vraie vie.
Isa

23 février 2006

"Le manuscrit perdu de Jonah Boyd" de David LEAVITT


Nous sommes à l’université de Wellspring, aux Etats-Unis, en 1969.
Dans leur belle maison sur le campus, Ernest Wright, professeur de psychanalyse, et sa femme Nancy, mettent la dernière main à leur traditionnel dîner de Thanksgiving. Comme d’habitude, il y aura quelques étudiants qui ne rentrent pas chez eux, et comme d’habitude, Denny, la secrétaire d’Ernest, est là aussi, et c'est elle qui raconte l'histoire. Elle fait un peu partie de la famille, Denny : partenaire au piano de Nancy, qui l’a prise sous son aile protectrice (c’est une forte femme, Nancy, mais Denny est plus fine mouche qu’il n’y paraît), secrétaire d'Ernest donc, mais aussi sa maîtresse , même si cela, évidemment, c’est un secret.
Pourtant ce n’est pas un Thanksgiving comme les autres. Nancy est dans tous ses états, sa vieille amie Anne vient dîner avec son nouveau mari, l’écrivain Jonah Boyd. Ils arrivent en retard, car Jonah Boyd a une fâcheuse manie, qui horripile sa femme, celle d’oublier un peu partout son manuscrit en cours (là, c'était dans l'avion). Le dîner se déroule bien, Jonah Boyd lit à haute voix le premier chapitre de son manuscrit et le petit dernier de la famille, Ben, « inflige » à tous la lecture de ses poèmes d’adolescent. Mais le lendemain, c’est la catastrophe, Jonah Boyd a encore égaré ses précieux carnets, et cette fois-ci, malgré l’énergie déployée par tous, il ne les retrouve pas. Et comme il ne fait aucune copie du manuscrit (il donne une dimension mystique à ces carnets, fabriqués spécialement en Italie), tout son travail est perdu. Un bel acte manqué, dira Ernest.
Cet incident va bouleverser considérablement le destin de tous les personnages, dans une suite de rebondissements pleins d’ironie. Satire du milieu universitaire, réflexion sur l’écriture, mais aussi sur la prédestination, la famille, l’attachement démesuré aux lieux et aux choses, il y a énormément de thèmes dans ce roman drôle et brillant. David Leavitt, auteur découvert dans les années 80 grâce à un remarquable recueil de nouvelles, fait ici un retour réussi et jubilatoire.
Paru chez Denoël en septembre 2005 (à lire également, "Le langage perdu des grues" et "Quelques pas de danse en famille")
Isa

13 février 2006

3 polars

Je viens de lire coup sur coup 3 polars : un français, La chambre des morts de Frank Thilliez, un norvégien, Rouge-gorge de Jo Nesbo et un américain, Faux rebond de Harlan Coben.

Le plus facile à lire (beaucoup de dialogues, des coups de poing, le milieu sportif de la NBA) c'est l'américain : on est pris par l'intrigue, un fond de romantisme, de nostalgie et de grands sentiments... Tout est bien qui finit bien. On en ressort serein et rassuré sur le sort de ce héros au nom improbable (touche d'originalité), Myron Bolitar. Ouf il s'en sortira, et il est resté intègre même s'il a appris de rudes choses sur son passé.
Ensuite je placerai le français, intéressant avec ses points de vue personnels sur le passé un peu trouble de l'héroine au non conformisme affiché : c'est une mère célibataire de 2 jumelles qui lui brouillent ses nuits (et pour un flic comme pour les autres, c'est dur de ne pas profiter de ses nuits). Une intrigue assez glauque sur des petites filles handicapées et kidnappées dans un but non pédophile mais tout aussi malsain ! Sans oublier, car on est dans le nord de la France, le petit couplet sociologique sur la difficulté de la recherche d'emploi qui peut mener à des extrémités difficilement avouables. Le début est assez réussi mais on s'enferme vite dans une routine propre à quelques auteurs du genre, hésitant entre fantastique, horreur et vie quotidienne, mais on est loin du Silence des agneaux !!!

Enfin on arrive au norvégien, avec son héros Harry Cole tout ce qu'il y a de décalé, en recherche de lui-même, désabusé mais pugnace, limite alcoolo (mais il se soigne sur les conseils d'une collègue fana des oiseaux). L'auteur nous plonge dans le passé trouble de ces jeunes norvégiens qui sont allés se battre au côté des allemands pendant la 2 ème guerre mondiale, ces traîtres jugés après l'armistice qui n'ont pas fini de régler leur compte avec le passé. Beaucoup de retours en arrière sur les annés de guerre avec le devenir d'une poignée de ces jeunes gens séduits par les thèses nazies. Et notre héros doit se frotter à ce milieu néo-nazi toujours présent. C'est bien, c'est fort, cela vous empoigne et le livre ne vous lâche plus.
Bien sur l'énigme sera résolue. Comme les américains, les polars du nord résolvent les énigmes mais laissent aussi des pans d'ombre et nous renvoient à des thèmes autrement plus profonds.

Vous avez deviné, c'est ce dernier que j'ai préféré, même si j'ai passé un bon moment avec les 2 autres. Rouge Gorge m'a surprise, éblouie.

A.

"Monster" de Patty JENKINS


Aileen est une paumée, prostituée depuis l'adolescence, abandonnée par sa famille. Elle trace sa route tant bien que mal, une route qui va un jour prendre un virage funeste, lorsqu'elle rencontre la jeune Selby. Elle tombe folle amoureuse, et cela ne lui était bien sûr jamais arrivé, elle que les hommes utilisent sexuellement sans même la voir. Le même soir, sa passion éclate, la rendant folle de bonheur, puis elle est atrocement agressée par un client, qu'elle tue en état de légitime défense.
Ce film de Patty Jenkins, sorti en 2004 et inspiré d'un fait divers réel, est implacable. La dérive meurtrière de l'héroïne n'est jamais excusée ou justifiée (sauf peut-être pour le premier meurtre). elle est bien un monstre, qui va tuer 7 fois, 7 clients pas tous aussi ignobles que le premier, dans une gradation d'ailleurs très bien montrée. Elle est bien un monstre (Charlize Theron, défigurée, met mal à l'aise avec son regard fou), mais un monstre qu'on plaint de tout notre coeur, tant elle a été bafouée tout au long de sa vie. Un monstre qui protègera son amie jusqu'au bout. Le personnage de Selby est lui aussi intéressant, beaucoup plus complexe finalement et très insaisissable, Christina Ricci incarne avec une certaine froideur ce mélange d'innocence et d'aveuglement volontaire.
Parfois un peu long, c'est un film loin des standards hollywoodiens, sans happy end, que je vous recommande.
Isa