11 novembre 2013

Le passé continu de Neel MUKHERJEE

Ce premier roman de l'indien Neel Mukherjee (écrit en anglais) a été très remarqué à sa sortie, et ce n'est pas étonnant. Sa maîtrise et son talent, pour un coup d'essai, forcent l'admiration.
Un roman original, foisonnant qui se déploie sur plusieurs plans en mettant en perspective différentes époques et différents personnages, tous aussi passionnants les uns que les autres. Nous passons ainsi de la vie à Calcutta dans la 2de moitié du 20ème siècle, aux bas-fonds de Londres dans les années 90, de la partition du Bengale en 1905 au monde glauque de la traite des travailleurs immigrés illégaux en Angleterre, en passant par l'ornithologie(!)
En bref, et pour être plus précise : dans les années 90, Ritwik, qui vit à Calcutta dans une famille qui s'est toujours battue contre la misère, perd ses 2 parents. Brillant élève, il obtient une bourse pour aller étudier à Londres.
Là, en même temps qu'il découvre le monde étudiant cosmopolite en Angleterre, il commence un roman consacré à la partition du Bengale et parallèlement s'enfonce dans les bas-fonds, poussé par une homosexualité qui s'exprime dans des situations scabreuses. Jusqu'à ce qu'il entre au service d'une très vieille dame, qu'il soigne et dorlote. Est-ce le temps de la rédemption ?
Le temps passe, la bourse comme le visa d'étudiant ont expiré, et pour ne pas abandonner la vieille Anne Cameron, Ritwik devient un immigré clandestin, qui va grossir les rangs de ceux qui recherchent tous les matins à se vendre à des employeurs-négriers (ici on pense au terrible "It's a free world" de Ken Loach).
On passe des couleurs indiennes (mais on est loin de Bollywood), au gris puis au noir de l’Angleterre. Les deux histoires se renvoient l'une à l'autre, et se nourrissent l'une de l'autre. Vous l'aurez compris, un excellent roman.
Cath

Ma vie avec Liberace de Steven SODERBERGH

Soderbergh nous surprendra toujours. Après Contagion et Side effects, voici la biographie du kitchissime mais néanmoins virtuose pianiste Liberace. "Liberace n'est pas Rubinstein, mais Rubinstein n'est pas Liberace..." Avec cette citation délicieuse et pleine de sens, Soderbergh nous introduit dans l'univers de cet artiste américain  des années 70, dont en France on mesure mal l'extraordinaire notoriété. Les 20 premières minutes sont à tomber par terre : Matt Damon, jeune homo indécis et un peu plouc, se retrouve à un concert de Liberace à Las Vegas. Le boogie woogie exécuté par une main gauche animée d'une vie propre (les  pianistes amateurs, dont je suis,  seront hallucinés) est l'occasion pour Liberace d'un sketch en interaction avec le public : c'est drôle et tarte à la fois, mais cette scène clé où l'on lit la fascination dans le regard de Matt Damon pour le brillant / clinquant showman, permet de comprendre toute leur histoire. Car elle pourrait sembler bien invraisemblable, cette passion amoureuse entre un jeune homme et une "vieille folle" despotique. Michael Douglas réussit pourtant le tour de force de la rendre crédible, tant il frôle la caricature sans jamais tomber dedans. Jusqu'à sa voix est méconnaissable. Il est ahurissant de véracité. Alors bien sûr il est question d'argent, de domination, de jeunes hommes se succédant dans le lit du maestro. Mais quand vient la dernière heure, celle où les masques tombent, ne reste qu'un véritable amour, certes singulier, mais réel et réciproque, et donc universel. J'ai versé ma petite larme...
IsaH

A moi seul bien des personnages de John IRVING


John Irving définit son dernier roman comme une œuvre militante, ce qui est à la fois la force et la limite d’A moi seul…. Irving entend en effet faire le tour de toutes les différenciations sexuelles à travers une galerie de personnages, qu’on va suivre des années 60 aux années 2000. La toile de fond passe donc d’une société verrouillée sur ces questions, jusqu’à la (relative) ouverture actuelle, en passant par la terrible irruption du SIDA... Le narrateur, Bill Abott, est un adolescent sensible et indécis sexuellement. Dans sa petite ville du Vermont, il rêve d’être écrivain, encouragé dans cette voie par une bibliothécaire, Miss Frost. Ambivalente et fascinante, elle sera également décisive dans l’orientation sexuelle du jeune homme (il aimera les garçons ET les filles) … Malgré quelques longueurs, Irving excelle à nous rendre tous ces personnages vivants et attachants. Son art consommé du dialogue, son sens si américain des situations (parfois crues, souvent drôles), la force des émotions (le long tunnel de deuils des années SIDA) nous mettent en état de totale empathie. Un hymne à la tolérance par un maître des lettres américaines, qui, avec Bill, nous offre une fois de plus un personnage masculin dont lui seul a le secret.
IsaH