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"La fugue" et "Loin, chez personne" de Valérie SIGWARD

Valérie Sigward explore dans ces deux romans ses thèmes de prédilection : la frontière séparant le monde de l’enfance de celui des adultes, l’absence de ceux qu’on aime et la souffrance qu’elle suscite, le voyage, au dénouement toujours incertain.
Le voyage, dans "La fugue", est donc ...une fugue. Celle de Théo, un lycéen dont le frère s’est suicidé un an plus tôt. Théo cherche à fuir ses parents dévastés, pour qui il n’a plus l’impression d’exister. Il n’ira pas bien loin en termes de distance, mais avec d’autres jeunes de son entourage, dont celle qui fut la petite amie de son frère, et son inénarrable meilleur copain Zeb, il fera un grand trajet intérieur dans l’acceptation de la mort de son frère.
"Loin, chez personne", raconte également un voyage, puisque c’est un road movie, avec là encore un grand absent. Deux soeurs d’une trentaine d’années partent voir leur père, pour lui "demander des comptes". L’aînée, Julia, emmène dans ce périple ses deux enfants, Riri, 7 ans et Jeffrey, adolescent autiste. On comprend tout de suite que pour Julia et sa soeur (la narratrice, jamais nommée), ce père a été plutôt absent et qu’elle en ont toujours souffert. Un jour il est parti et il a cessé de s’intéresser à elles, d’un coup, comme ça. Même lorsque sa fille Julia a perdu son mari, le père de Riri et Jeffrey. Même lorsque l’autisme de son petit fils s’est déclaré, il ne s’est pas manifesté. ? Julia se cogne dans la vie. tout se passe mal pour elle. Mais elle vit, elle tente des choses. La narratrice, elle, est passive, elle avance armée de son sarcasme comme bouclier. Et on comprend qu’elle n’a rien fait de sa vie.
La route vers le père est semée de péripéties souvent cocasses. La tribu se chamaille. Entre la narratrice et le vif et insolent petit Riri, son neveu, il y a des étincelles. Julia dit à sa sœur, après une dispute entre les deux : « Un jour il faudra que tu me dises si tu détestes vraiment mes gosses, ou si tu fais semblant pour te donner un genre ». C’est un roman, comme "La Fugue", d’ailleurs, où on rit beaucoup.
Le règlement de comptes, les retrouvailles avec le père, vont prendre un tour pour le moins inattendu, rien ne se passe comme on aurait pu l’imaginer. C'est un peu gros, mais ça passe. Car le talent de Valérie Sigward fait le reste, et l’émotion finale submerge telle une lame de fond toute l’incongruité des circonstances de la rencontre entre le père et les deux soeurs.
L’écriture dans ces deux romans est pleine d’humour, avec l’apparente simplicité de l’oralité, qui cache en fait un gros travail sur la langue. Les dialogues sont particulièrement réussis, dans la Fugue, le copain Zeb est à mourir de rire. Et comme chez Joël Egloff, on n’a qu’une envie, et du coup qu’une frustration, en refermant le livre, c’est de connaître ces personnages pleins de vie, d’ironie et de douleur.
Isa

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