Accéder au contenu principal

"Quichotte" de Salman Rushdie

Toute ma vie de lectrice, j’étais passée à côté de Salman Rushdie, son œuvre m’était comme masquée par le « bruit » de l’ignoble fatwa, et la dimension magique de la plupart de ses récits (ce n’est pas ma tasse de thé) ne m’encourageait pas à le lire. J’en suis venue à l’aborder quand, installé aux Etats-Unis, il a situé ses romans dans ce pays. Intriguée par le résumé de la Maison Golden qui, fidèle à la réputation de Rushdie, semblait foisonnant et plein de références, mais dont les enjeux narratifs étaient clairs et qui a la grande qualité de se dérouler à New York, je l’ai lu avec passion. Et logiquement, j’ai regardé de près la quatrième de couverture de Quichotte, paru à l'automne 2020 : la promesse d’un road trip à travers les USA, un vieil indien (d’Inde bien sûr) amoureux d’une star de la téléréalité... Bref, j’ai plongé dans ce mastodonte (private joke pour ceux qui l’ont lu) de 430 pages. Et mon esprit cartésien n’a pas résisté à la fantaisie pleine de sens du récit, qui mêle habilement et sans qu’on se perde, réel et imaginaire, niant même toute frontière entre les deux. 
Car il s’agit ici du récit parallèle entre un roman en cours d’écriture et les épisodes de la vie de son Auteur. Celui-ci écrit et transpose sa vie dans un roman fantastique, en lui insufflant ses désespoirs, ses aspirations, ses peurs. Alors oui, il faut admettre que le héros peut créer ex nihilo le fils qu’il n’a jamais eu, et traverser l’Amérique avec lui dans une Chevy Cruz, à la conquête de l’amour absolu, celui qu’il éprouve en toute irrationalité pour Salma R, une star de la téléréalité, d’origine indienne comme lui. Le roman résiste au résumé, et si la litanie des thèmes abordés sonne creux, jamais le roman ne le fait : l’amour, la transmission, la réussite d’une vie, la mort (individuelle, ou celle annoncée de notre monde). Mais c’est aussi une satire sociale de l’Amérique trumpiste*, des dérives des réseaux sociaux, marquée par la crise climatique, évoquant (déjà) des pandémies à venir… Profondément déprimant, avec quelques fulgurances philosophiques ou carrément poignantes, le roman ne se départ jamais, pourtant, d’une certaine légèreté, et il est parfois follement drôle… 
Le récit avance tel un vrai page-turner, bien que bourré de références, autre marqueur de Salman Rushdie : Quichotte est un tribut aux maîtres de la littérature que sont Cervantès, Ionesco ou Shakespeare. Mais fourmille aussi de références à la culture la plus populaire, qu’il connaît tellement bien que cela éloigne tout mépris dans la critique même qu’il en fait. * critique écrite en 2020, il s'agissait du premier mandat de Trump...

IsaH 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

"Tout le monde aime Jeanne" de Céline DEVAUX

Un samedi soir, je tombe par hasard à la télé sur un film qui commençait, avec Blanche Gardin, que j’aime beaucoup. Vite happée par son jeu et le dispositif scénaristique de la voix intérieure sur des images d’animation hilarantes et pleines de sens, je regarde jusqu’au bout cette histoire de dépression, de deuil et de rencontre, dont j’apprends plus tard que c’est un premier film. Chapeau… Je ne suis pas toujours fan de Laurent Lafitte, mais son duo avec Blanche Gardin fonctionne. Marthe Keller, la mère disparue, Nuno Lopes l'ex portugais, et Maxence Tual le frère affectueux, sans oublier les enfants, chaque acteur est parfaitement choisi et joue sa partition. Il y a bien quelques longueurs, mais aussi des images sublimes de Lisbonne, et surtout le visage changeant de Blanche/Jeanne, tour à tour beau ou ingrat, avec son regard inimitable, entre désespoir et ironie ; on retrouve, en moins trash, la Blanche qu’on connaît sur scène. A noter que c'est la réalisatrice elle-mê...

"Les Autres" d'Alice FERNEY

Une soirée en famille. Théo fête ses 20 ans, avec sa mère, son frère, sa fiancée et quelques amis. La grand-mère, centenaire et très malade, est dans son lit, quelque part dans la maison. Le père ne fait que passer. Niels offre à son frère Théo un jeu "Personnages et caractères". Une sorte de jeu de la vérité : on tire des cartes avec des questions plus ou moins personnelles, qu’on choisit de poser à tel ou tel participant. Evidemment la partie de plaisir devient un jeu de massacre, et les secrets, rancoeurs et tensions se révèlent au grand jour. Ultra classique, me direz-vous. L’originalité du roman est ailleurs, dans sa forme. On commence avec une suite de courts monologues intérieurs des différents protagonistes, qui nous dévoilent peu à peu l’intrigue, indirectement ("Choses pensées"). Les caractères de chacun sont plantés, et le fil de la soirée, avec tous ses rebondissements, est dévoilé entièrement à la fin de cette partie. On apprend ainsi très vite, que Mar...