Ce roman d'une brillante journaliste américaine commence fort avec un préambule racontant l'enlèvement d'un magnat industriel juif de Long Island, Carl Fletcher. La famille se regroupe pour faire face, sa femme, sa mère et sa belle-mère, en essayant d'épargner les deux jeunes fils. Echec total puisque le roman, une fois cet évènement résolu en quelques pages, se concentre sur le plus jeune des fils devenu adulte. Bernard, surnommé Beamer, est manifestement tellement traumatisé que tous ses fantasmes tournent autour de scénarios d'enlèvement, réalisés chaque semaine dans des conditions sordides avec des travailleuses du sexe, et bien qu'il soit marié (à une presbytérienne au grand désespoir de sa mère) et père de famille. Vivant des rentes familiales, il exerce toutefois le métier de scénariste, et chacun de ses films met aussi en scène des enlèvements... J'en suis là, c'est très drôle, caustique à souhait, et dans la veine de ces grands romans américains explorant dans le moindre détail la psyché du mâle blanc urbain. Moins profond que Philip Roth, (un peu) moins trash que Bret Easton Ellis, il est intéressant de noter que c'est écrit par une femme ! Très prometteur, j'ai hâte de continuer.
Le roman va ensuite dérouler le point de vue de chacun des membres de la famille, éclairant un peu plus à chaque fois les ravages causés par l'enlèvement et surtout par l'atonie complète du père qui ne s'en remettra jamais. Un vrai catalogue de névroses, dont on suit l'évolution tout au long de leur vie : Beamer est obsessionnel, Nathan hyper anxieux et Jenny, dont Ruth était enceinte au moment du drame, dépressive. On va aussi découvrir d'autres traumas, comme celui du grand-père, Zelig, échappant à la Shoah dans des circonstances troubles, connaître (sans doute) la vérité sur le commanditaire de l'enlèvement, assister (peut-être) à la ruine de la famille, bref c'est dense, cruel et drôle comme seuls les juifs new yorkais peuvent l'être, et au final assez émouvant. Car le roman raconte aussi la soif viscérale d'intégration et de réussite des juifs fuyant l'Europe au milieu du siècle dernier, à travers les personnages des grand-parents, Zelig et Phyllis, travaillant dur pour monter une entreprise industrielle qui fera leur fortune. Sauf que cet argent sera le tombeau de leur fils Carl et un poison pour la dernière génération de la famille : Nathan, Beamer et Jenny n'ont rien fait pour le gagner, en profitent, et ils ont beau travailler pour ne pas être oisifs, ils restent en dehors d'une société qui ne vit pas comme eux. Il y a une vraie fin, pas forcément celle à laquelle on s'attend au vu des catastrophes qui s'enchaînent dans le dernier tiers du roman, et c'est tant mieux. Je vous recommande la lecture de cette saga d'une famille juive sur 3 générations, assez jubilatoire, aux caractères bien dessinés et au scénario habile. On murmure qu'une adaptation en série se profile... Les rebondissements et l'excellence des dialogues s'y prêtent, on y perdra sans doute en profondeur.
Un extrait qui pourrait figurer en 4è de couverture, et montre le style de l'auteure
"Les
spectres d'un passé tourmenté peuvent hanter l'âme et le corps de
chaque membre d'une famille d'une myriade de façons différentes.
L'appauvrissement soudain, le ravalement brutal au rang des gens tout
juste aisés peut représenter un évènement cataclysmique dont il est
parfois impossible de se relever.
Mais avez vous seulement essayé d'organiser une bar-mitsvah dans une banlieue cossue des Etats-Unis ?"
IsaH
IsaH

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