De la plus légère à la plus profonde, voici un regard croisé sur deux séries évoquant l'american family, racontant le quotidien de 3 générations cohabitant plus ou moins harmonieusement : Gilmore Girls pour les années 90, Parenthood, pour les années 2000. Ce ne sont donc pas des nouveautés, et de fait elles flattent un peu notre (mon ?) goût pour la nostalgie...
Une saison = une année, on voit donc les enfants grandir, les grand-parents vieillir, les adolescents éclore dans leur vie d'adulte.
De quoi analyser l'évolution sociologique de la représentation de la famille, des relations hommes/femmes, la paternité et la maternité, l'adolescence. Le trait d'union ? L'actrice Lauren Graham. Elle est le personnage central de Gilmore Girls, et l'un des membres de la famille Braverman dans la série Parenthood. Elle incarne parfaitement la fameuse "girl next door", à la fois sympathique, malicieuse, dégourdie et (forcément) sexy.
Les deux séries résistent au résumé puisque leur matière est le quotidien, mais voici quelques clés de compréhension des intrigues :
Parenthood (PH) est davantage encore une série chorale car le clan Braverman est très étendu : les grands- parents, Zeek et Camille, ont 4 enfants, Adam, Sarah, Julia et Crosby, qui eux-même sont parents de 9 enfants. La grande force de la série est qu'aucun ne l'emporte sur l'autre, une vraie gageure avec autant de personnages. Comme dans Gilmore Girls, on suit leur quotidien, leurs joies, les obstacles rencontrés, et la manière dont cette famille très soudée peut être éprouvée par des épreuves et les surmonter. La série est plus "psychologisante" que GG, plus profonde et aussi plus réaliste au final, bien que parfois un peu trop "tire-larmes".
source : Wikipédia
Deux Amériques
Les autres décors sont les auberges où va travailler successivement Lorelaï, sa maison traditionnelle en bois, la maison cossue de ses parents, mais aussi les différents établissements scolaires puis universitaires où va étudier Rory. Les très grandes villes de la côte Est, New York, Boston, ne sont pas loin, à portée de voiture ou de car. Les personnages s'y rendent parfois mais personne ne songe à s'y installer, on est tellement mieux dans le cocon que représente Stars Hollow !
Parenthood se passe dans la bay area de San Francisco, l'ambiance est bohème/bobo : Camille et Zeek habitent une grande maison familiale à Berkeley, la mère peint à ses heures perdues et le père répare des bagnoles des années 50. Deux des fils, Adam et Crosby, tiennent un studio d'enregistrement dans le quartier mythique de Haight Ashbury. Sarah galère car elle vient de quitter son compagnon, un rocker alcoolique, et revient au début de la série vivre chez ses parents avec ses deux enfants. Julia est une avocate ambitieuse, son mari est père au foyer. Le shit circule toujours un peu de ci de là. Il y a davantage de diversité que dans GG : la femme de Crosby ou le premier petit ami de Haddie sont afro-américains, l'un des enfants d'Adam est Asperger, Julia et Joel adopte un enfant latino etc... L'ambiance et les décors sont donc plus "rough" que dans GG.
Le sentiment amoureux
Gilmore Girls respecte à la lettre les codes de la comédie romantique : l'héroïne a sous les yeux l'homme de sa vie, mais il lui faut du temps pour s'en rendre compte, au prix parfois d'une certaine artificialité dans le déroulement de l'intrigue... Luke, car c'est bien lui, est un misanthrope bourru et séduisant malgré lui, rétif à la modernité mais aussi à la tradition, et sans se l'avouer il est raide dingue de Lorelaï, qui, fidèle à la tradition de la jolie emmerdeuse, le fait tourner en bourrique.
Hank, dans Parenthood, est son pendant, sauf qu'une décennie plus tard, on commence à mettre des mots sur certaines personnalités. Hank est sans doute Asperger, son profil est davantage creusé que celui de Luke, et Ray Romano y apporte une profondeur touchante, avec sa voix grave et son sourire en coin.Luke et Hank ne sont pas faciles à vivre, il y aura des ruptures, mais Lorelaï et Sarah vont quand même les choisir, malgré les autres hommes qu'elles auront fréquentés, plus charmants, plus établis mais plus lisses, et bien qu'elle aient l'une et l'autre encore dans leur vie leur amour de jeunesse, le père de Rory pour Lorelaï, et le père d'Amber et Drew pour Sarah. Ils auront chacun une deuxième chance qui n'aboutira pas.
Pour la génération suivante, les choses ne sont pas plus simples. Dans GG, Rory aussi va sans cesse balancer entre les gentils garçons et les bads boys (l'un d'eux incarné par Milo Ventimiglia, que l'on retrouvera plus tard dans une autre série familiale de grande qualité, This is us). Dans PH, Amber, la fille de Sarah, va tomber amoureuse d'un soldat atteint de trouble post traumatique à son retour d'Afghanistan, qui, à l'instar de son père, sombre dans l'alcoolisme et la violence. Haddie ne choisit pas la facilité non plus, son premier amour est un jeune homme noir sortant de prison (mais incarcéré pour de mauvaises raisons). La petite amie de Drew tombe enceinte à 16 ans et avorte etc..
Les deux séries respectent une certaine grammaire amoureuse, classique, propice à des intrigues intéressantes, avec déjà des personnages féminins indépendants au caractère fort. Elles donnent à voir le temps long d'un couple, ce qui n'est pas si fréquent à l'écran. Dans PH, Camille, la matriarche, est assez soumise à son mâle alpha de mari, Zeek, un vétéran du Vietnam, mais finira par se rebeller à sa manière et à peser sur leurs choix de vie. Dans les couples établis, Adam et Kristina dans PH par exemple, ou Sookie et Jackson dans GG, l'esprit d'équipe domine, on fait face, on affronte les difficultés et on s'épaule. Ca grince parfois, mais jamais trop longtemps. Dans PH, Jasmine est montrée comme autoritaire, mais a-t-elle d'autre choix face à l'immaturité de Crosby ? Joel et Julia semblent solides, mais se déchirent quand la confiance disparaît.
L'expressionnisme des sentiments vs l'humour comme défense
Les deux séries divergent singulièrement sur ce point. Dans GG, d'une manière générale, ça vanne beaucoup et la plupart des personnages sont pudiques avec leurs sentiments. Si entre Lorelaï et Rory, les mots tendres sont fréquents, il n'en est pas de même entre Lorelaï et sa mère, qui n'ont toujours pas réglé leur dramatique différend initial : Lorelaï enceinte à 16 ans a quitté le nid familial pour élever seule sa fille sans voir ses parents pendant des années. On retient son souffle lorsqu'à de rares moments l'harmonie se réinstalle entre elles : c'est furtif, soudainement l'absence de vacheries ou un comportement solidaire lors d'un coup dur marquent le retour à la surface de l'affection enfouie, mais bien réelle, entre les deux femmes.
Dans PH au contraire le nombre d'occurrences d"'I love you" mais aussi de "You're a good mom", "You're an amazing person" est astronomique. Les sentiments s'expriment haut et fort, les félicitations pleuvent pour un oui ou un non sur les enfants, les parents s'auto-congratulent. Ca pleure beaucoup, Amber en tête, l'actrice a sûrement été choisie au casting sur cette capacité à parler en sanglotant (ou l'inverse). Loin de la mécanique de sitcom de GG, les dialogues de PH se veulent plus réalistes, avec beaucoup d'hésitations dans la formulation des idées, eh oui dans la vraie vie ça ne vient pas tout seul !
Les scènes de groupes sont le point fort de la série, tout le monde parle en même temps mais on comprend tout, cela a vraiment le goût de la vie, ces scènes sont sans doute très écrites mais leur spontanéité est bluffante.Injonctions en tous genres
Témoins des évolutions sociologiques, ces deux séries mettent en avant les injonctions diverses qui pèsent sur les personnages. Les trois premières sont interrogées dans les scénarios et sont des moteurs de l'intrigue et de la bible des personnages. La dernière est un présupposé qui sous-tend l'ensemble des deux séries.
- Le poids de la société ("community" aux USA)
Le qu'en dira-t-on pèse sur chacun : sur un mode mineur dans GG (à Stars Hollow, les gossip girls se chargent de divulguer tous les détails de la vie de Lorelaï), plus pesant dans PH (la rumeur de la liaison de Julia avec un père d'élève l'ostracise et met en danger son couple). L'Ecole en tant qu'institution et décor est très présente dans les deux séries, de la maternelle à l'université. Pour les pères et les mères, c'est le regard des autres parents d'élève, pour les enfants, la pression de la réussite qui pèsent (sachant aussi qu'aux Etats-Unis, aller à l'école, à l'université a un coût financier souvent élevé).
- Le poids de la famille
Dans la grande famille aimante de PH, tous sont prisonniers de schémas souvent issus de l'enfance : Crosby reste le petit dernier immature et peine à être crédible comme père et mari, Sarah est le mouton noir qui multiplie les déconvenues professionnelles et amoureuses, Adam coche toutes ces cases, lui, mais c'est lourd d'être celui qui est parfait. La mère de Jasmine est très croyante et part du principe que Aïda, la petite dernière de Crosby, doit être baptisée etc... Lorelaï dans GG, au contraire, dynamite le schéma attendu en rompant les liens avec son milieu d'origine et en s'inventant une vie à elle. Elle tâche farouchement de préserver cette indépendance tout au long des saisons, au prix de grands sacrifices parfois. Rory l'élève surdouée préfèrerait aller à Harvard, mais son grand-père ayant étudié à Yale, elle se conforme à la tradition.
- Tu seras une mère parfaite et un père parfait
Dans PH Julia est ambitieuse professionnellement, son mari reste à la maison pour qu'elle fasse carrière et elle culpabilise, pourtant quand il reprend le boulot après qu'elle-même ait perdu son job, elle ne le soutient pas en retour, reste certes à la maison avec les enfants mais s'ennuie. Sarah ne voit les choix de sa fille que par le prisme de la reproduction de ses erreurs, l'enfermant ainsi dans un schéma négatif. Elle en est consciente et s'en veut mais ne peut pas faire autrement. Kristina et Adam veulent le meilleur pour leur fils autiste, mais ce faisant, négligent un peu leur aînée. Etre des parents parfaits, un objectif inatteignable mais intégré par les personnages comme devant être atteint. Tout juste un contre exemple est-il donné par la matriarche de PH, Camille, qui part sans vergogne suivre un stage de peinture en Italie pendant des semaines, ou se rebiffe quand Crosby lui reproche d'être égoïste en vendant la maison familiale. Dans GG, la parentalité est moins culpabilisée. Lorelaï est une mère attentive mais fantasque, plus copine qu'éducatrice. La grand-mère n'hésite pas à monnayer un appui financier aux études de Rory en échange d'un dîner hebdomadaire imposé à sa fille et sa petite-fille.
- Hors du mariage, point de salut
En revanche voilà une injonction parfaitement intégrée et jamais questionnée dans les séries. Pour l'ensemble des personnages des deux séries, le couple est un objectif indiscutable, et le mariage avec enfants un accomplissement ultime, même pour les bobos de Berkeley. Hank sent qu'il ne s'intégrera dans cette famille qu'en épousant Sarah. Le célibat, même transitoire, reste un échec, surtout pour les femmes. Cette vision très traditionnelle se cache parfois derrière des atours rock'n roll, mais demeure puissante.
Pop culture et american way of life
Niveau nourriture, on mange plus équilibré, globalement, dans PH que dans GG. Pancakes et jus de fruits sont le quotidien des petits déjeuners chez Adam et Kristina qui font la chasse aux bonbons, la danseuse Jasmine mange végé, etc..., bref on est en Californie et pour citer une autre de mes séries cultes, Absolutely Fabulous : "Health, health, health !", même si ça se complique un peu chez les petits-enfants. Dans GG, Lorelaï ne cuisine jamais, avec sa fille Rory elles se gavent de soda, de café et de junk food, et le revendiquent, même Luke, qui pourtant les nourrit dans son diner, leur fait la leçon. Le tout en restant minces comme des fils naturellement...
Histoires de minorités
PH traite de diverses problématiques sociétales, comme l'inclusion des personnes handicapées (à travers le personnage de Max par ex), le harcèlement scolaire (Max est harcelé et traité de "freak", mais Sydney, la fille de Julia, harcèle une petite fille en surpoids). Je l'ai dit, les afro-américains, quasi-absents de GG (à part le collègue métis, français et gay de Lorelaï), sont bien présents dans PH. Leur couleur de peau n'est toutefois pas neutre, elle suscite toujours une réaction, certes positive et chaleureuse, mais un peu d'inquiétude passe malgré tout dans les yeux de Kristina et Adam quand Haddie ramène son boy friend noir à la maison (même si on est bien loin de Devine qui vient dîner ce soir !)
GG traite davantage des classes sociales (comment Luke, simple commerçant, peut-il se faire accepter par les parents de Lorelaï, quels écueils rencontre Rory comme transfuge de classe, au milieu de ses nouveaux amis fortunés de Yale). Le courant woke n'a pas tout à fait émergé, mais on en sent les prémisses dans PH, là où GG est encore dans une sorte de chromo de l'Amérique des petites villes.
En conclusion, ces deux séries sont également très américaines dans leur efficacité narrative, le soin apporté aux décors et à la réalisation, la qualité des acteurs et actrices, servant parfaitement l'évolution de chacun des personnages et permettant de s'y attacher profondément. On rit, on pleure, on retrouve un peu ou beaucoup de soi, on prend parti, bref ce sont des séries chaleureuses mais jamais niaises, que je vous recommande pour les dimanches après-midi d'hiver, si vous avez Netflix !
IsaH








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